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Serait-on en train de nous désapproprier du Konpa ?

La musique est ce remède pour l’esprit qui fait voyager à travers les temps et les silences. Elle est porteuse d’identité culturelle. Ce qui explique qu’à écouter une musique, elle évoque l’image d’une civilisation, d’un pays, d’une région, d’une époque. D’où la naissance du genre musical que l’on peut définir comme étant un classement qui permet de donner une catégorie à la musique. Parmi les différents genres musicaux nous citons le jazz, la pop, le hip-hop, le reggae, le reggaeton, le compas (konpa) qui lui, est propre à notre culture (la culture Haïtienne).

De 2020 à date, nous assistons à une sorte d’explosion musicale en Haïti. Ce pays qui était déjà reconnu comme étant un carrefour culturel, où différentes tendances se croisent, voit le phénomène de l’acculturation s’introduire même dans le domaine de la musique. Le compas direct, comme tout autre genre, se voit subir différentes transformations au cours des années. Les bourgeons d’artistes ou les nouveaux-nés de la musique Haïtienne, ont plutôt tendance à s’orienter vers les nouveaux genres que vers le compas. Ce qui fait que l’on parle aujourd’hui de la fragilité de ce dernier.

Le “Konpa” est, tout comme notre bicolore, cette couleur locale qui rassemble Haïtiens et amants de la bonne musique. Il est très connu pour son groove qui est apte à transporter les gens et les laisser submerger par les différentes mélodies.

Naissance du compas

Le Compas Direct, (“Konpa” en créole) est un genre musical Haïtien qui a été inventé par le saxophoniste et guitariste Haïtien, Nemours Jean-Baptiste en 1955. Ses compositions étaient dans notre langue maternelle “le créole”. Et à en croire l’histoire, ses premiers débuts dans le compas furent en compagnie du saxophoniste Wébert Sicot, avec qui il fonda le Conjunto International avec l’aide du promoteur et propriétaire de discothèque, Jean Lumarc. C’est le 26 juillet de cette même année que l’orchestre donna son premier concert à la Place Sainte Anne sise à Port-au-Prince. D’où l’adoption de cette date pour la célébration du Compas Direct.

La collaboration Wébert-Nemours n’a duré que quelques semaines. Ce qui fit passer l’orchestre de Conjunto à “Ensemble Aux Calebasses”, sous l’égide de Nemours.

Le Compas Direct, connu pour être un dérivé de la famille de la meringue haïtienne et qui est proche du quadrille, lui-même dérivé de la contredanse française, se jouait principalement à sa naissance dans des rythmes qui étaient fondés sur le genre populaire Grenn Siwèl/Twoubadou. Mais c’est en 1957, que le compas prend sa vraie forme; une invention, graduelle de Nemours Jean-Baptiste avec l’assistance des frères Duroseau Kredzer et Richard.

Nemours Jean-Baptiste et Wébert Sicot
De la gauche vers la droite, Nemours Jean-Baptiste et Wébert Sicot

Le compas à travers les temps

Pouvant être considérée comme phénomène social, la musique évolue au rythme de la société. Elle n’est pas stagnante. Le compas en est un grand exemple.

La Cadence Rampa

La première variation qu’a subie la musique de Nemours eût lieu en 1961. Ce fût le fruit du travail de Wébert Sicot, ex compagnon de Nemours au Conjunto International qui décida de fonder son propre orchestre en 1960 qui, dans sa première année a joué du Compas Direct.

L’année suivant la création de son groupe, il aménagea le rythme. À sa nouvelle tendance, il donna le nom de Cadence Rampa. Utilisant souvent une composition 4/4, contrairement au compas d’origine que l’on peut qualifier de traditionnel qui utilisait un rythme 2/4; ses mélodies étaient un peu plus riches avec des phrases plus longues que celles de Nemours. Pour sa bande, Wébert aligna 4 trompettes et 3 saxophones. Il a également utilisé une batterie, tandis que son rival a fait usage des timbales cubaines jusqu’en 1968.

Quoique considéré comme étant plus riche et plus complexe que le compas direct, la cadence rampa ne s’est pas emparée de l’appréciation du public pour ce dernier. Il n’a pas cessé d’être le favori des amants de la musique haïtienne. Sicot, par sa nouvelle tendance, s’est érigé en modèle de la génération de musiciens qui va surgir aux environs des années 60.

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L’éclosion des mini-Jazz

Vers les années 60, sous l’influence du mouvement yéyé français imprégné d’une touche de rock, la musique Haïtienne a vu naître une génération de jeunes musiciens-chanteurs les “mini-jazz”, désireux d’apporter une nouvelle touche au compas direct de Nemours Jean-Baptiste. Le dit genre connut un véritable succès dans la deuxième moitié des années 60.

Cette tendance du compas haïtien s’est répandue à une telle vitesse que certains eurent à dire que chaque quartier détenait son mini-jazz. La plupart des orchestres étaient composés de deux guitaristes, d’une guitare basse, d’une batterie, d’un saxophone alto et d’un ou deux chanteurs.

On retint le nom du groupe Shleu-Shleu qui, comme le rapporte l’histoire, était composé d’excellents musiciens et qui a su se démarquer. C’est à cette époque que nous devons la naissance du remarquable orchestre Tabou Combo qui, jusqu’à aujourd’hui, conserve l’héritage du mini-jazz.

Retenons aussi que le compas a eu son influence sur le zouk dans les Antilles françaises.

Le compas digital

Vers 1986-1990, le compas digital ou compas nouvelle génération va naître de l’inquiétude de certains sur la disparition du compas direct. Cette renaissance, nous la devons au maestro du groupe Top-Vice, Robert Raymonvil.

C’est avec le compas digital, que naquit le “kite l mache” du compas Haïtien. La tendance du compas digital fit sombrer les vrais percussionnistes dans l’oubli. Ils allaient être remplacés par une boîte à rythmes. La section de cuivres traditionnelle va laisser place à la musique synthèse.

Contrairement aux mini-jazz, cette tendance est caractérisée par la minimisation de l’effectif des musiciens constituant les différents groupes. Le compas digital nous a fait vivre une génération de groupes composés de jeunes musiciens tels que Papash, Digital Express, degré compas, Sweet Micky, connu pour être le plus groové de tous…

Le compas d’aujourd’hui

Le compas de nos jours est considéré par certains comme étant plus tempo et plus classe. Des groupes comme Harmonik, 5 lan, Vayb, Enposib… continuent de vendre le compas Haïtien et de faire danser leur public.

Malgré l’appréciation de ce dernier, les amoureux du compas traditionnel remettent en cause la tendance d’aujourd’hui. Ils tendent souvent à s’inquiéter du devenir de la musique de Nemours. Cependant, des groupes tels que Klass, Mass Compas et la bande à Couleur (Gazzman) continuent de perpétuer le compas Direct.

Soyez aux écoutes, STRATAGEM est présent

Transformation ou disparition ?

Aujourd’hui, le secteur musical Haïtien regorge de rythmes. Majoritairement influencée par l’afro style, et avec la montée en flèche du mouvement de DJ donnant un ton différent au Rabòday, notre musique voit paraître ces dernières années, des tendances comme la Trap et la drill qui elle, s’impose progressivement dans ce secteur. Il est à croire que ces deux dernières sont ou seront les prochaines remplaçantes du Rap Kreyòl. Souvent composés de slogans faciles à retenir, exprimant souvent, pour ne pas dire toujours une rivalité entre différents groupes et artistes, ces rythmes ayant un vibe totalement différent du compas sont très appréciés du public juvénile Haïtien.

Une jeunesse faisant face à différents problèmes socio-politico-économiques, qui voient surgir des phénomènes inédits et qui est très en poids au stress et à la dépression, chercherait tout de même un moyen de dissiper son mal, de laisser parler ses émotions. Le style afro, connu comme étant un style révolutionnaire, est devenu le chouchou numéro 1 de notre jeunesse. Sur ces musiques on voit souvent des danses laissant parler tout le corps, des danses avec tant d’émotions, des danses laissant voir sur le visage des gens une expression de “laissez-moi m’exprimer”.

Il faut retenir que la société haïtienne est majoritairement constituée de jeunes. L’orientation de la jeunesse vers d’autres tendances est ce qui laisse principalement place aux différents débats sur l’existence du compas. La musique en soi se doit de répondre aux exigences du public et de s’accommoder à ses attentes. La société change, les aspirations du public également. Le public de 1955 est différent de celui d’aujourd’hui, pourquoi alors garder la musique de Nemours telle qu’elle a été dès sa création ? Est-ce ce que veut le public ?

Certains artistes, parmi lesquels nous citons Richie, sont contre l’idée de disparition du compas. Malgré qu’ils soient conscients des différents changements du genre, ils défendent l’idée selon laquelle le compas existe encore. D’une part, on a cette portion du public qui parle de la disparition du compas et d’autre part, une partie parlant de sa métamorphose.

Quoique considéré comme étant en danger, nous pouvons admettre que tant que le compas continuera de jouer et tant qu’il en aura de nouvelles pépinières, on ne pourra pas parler de sa disparition, ni dire qu’on nous en désapproprie. Sous l’influence sociétale et oscillant entre différentes tendances, le compas subit des modifications qui laissent progressivement disparaître le style de Nemours Jean-Baptiste mais continue de réhausser notre bicolore à l’échelle internationale. Ce qui est pour certains, surtout pour les fans du compas traditionnel, une sorte de déception mais pour d’autres embrassant le changement, comme un renouveau, un progrès. Mais la grande question reste et demeure : “si ces changements persistent, et que la tendance change totalement, pourra-t-on toujours parler du compas ?”

Comments (5)

  1. Nous sommes entrain de nous disparaitre, de nous autodétruire Osias. Bèlide! Bon travail !
    On a besoin d’une jeunesse qui réfléchit.

  2. On nous désapproprie du compas!
    Mais qui !!!!!!

    On ne nous désapproprie pas du compas
    C’est nous les Haïtiens, nous les artiste, qui nous éloignons de notre compas

    Les vrais adeptes du compas ont le devoir de consentir de sacrifices énormes vis a vis la précarité qui surgit sur notre cher genre musical.

    Ce phénomène de l’acculturation, une population Juvénile qui ne s’y interesse pas vraiment

    De nouveaux artistes talentueux qui s’attachent ouvertement aux style Afro
    Un syndicat HMI monopolisé et (bordelisé😂)

    Ceux qui prétendent être du HMI, ils comprennent et voient tous. Mais ils font passer leurs intérêts avant tout.

    Nos nouveaux talentueux artistes choisissent l’afro pour promouvoir leur tube. C’est le style du moment et si c’est pas drill ou trap ils pensent que leur tube ne fera pas hit…..

    C’est pas un problème de choisir n’importe quel genre pour sa carrière
    Mais nous constatons des artiste sous l’influence des genres musicaux du moment chantent un style peu contraire au timbre de leur voix……

    En Haïti nous n’avons même pas un bon centre musical pouvant étudier le compas,
    ENARTS ouff qui pourrait d’une action positive sur la musique Haïtienne, Il trépigne …..

    Aux États Unis ils ont leur école de Jazz
    Dans les pays latino ils leurs écoles de Musique latine

    En europe ils ont leurs écoles ( conservatoire de musique) de musique classique

    Quelles institutions avons nous en Haïti pour l’étude de notre compas que nous disons que nous aimons. ?

    Des les premiers cours de musique du Jeune Haitien
    On l’apprend le Jazz, la musique Classique, le Gospel. Lapprennant ne trouvera pas de documents pour travailler et étudier le compas tandis qu’il peut trouver tant document sur les autres Rythmes et vient la dépréciation.

    Les américains font de la propagande pour leur Jazz

    Les latino font de la propagande pour leur salsa, leur meringue

    Les européens font de la propagande pour leur musique Classique

    Les africains font la propagande pour leur afro

    Haïti a choisi de ne pas faire de la propagande pour son compas…..

    Le ministère de la Culture gen nan menl ui😂

    Je le dis souvent la majeure partie des Haitiens des artistes ont une appréciation du compas mais pas le compas dans notre sang.
    😂😂😂😂😂😂😂😂

  3. Yon travay San parèy. Anpil rechech ki abouti ak yon finish san difikilte.

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