
Action en justice : que reproche Fabrice Rouzier à Joe Dwèt File, Burna Boy et consorts ?
Le célèbre musicien et producteur haïtien Fabrice Rouzier a lancé, le 22 avril 2025, une procédure judiciaire retentissante devant la cour fédérale de l’Est de New York (dossier n° 1:25-cv-2226). Au cœur de cette affaire : une plainte pour violation de droits d’auteur impliquant plusieurs figures et entreprises majeures de la musique internationale.
Parmi les accusés figurent le chanteur franco-haïtien Joé Dwèt Filé, la superstar nigériane Burna Boy, le comédien haïtien Tonton Bicha (Daniel Fils-Aimé), ainsi que les labels Atlantic Records Group, Universal Music Publishing France, Play Two et DF Empire.
Un morceau emblématique au centre de la discorde ?
Le litige porte sur la chanson « Je Vais », œuvre emblématique écrite et interprétée par Rouzier en 2002. Selon les documents déposés, cette composition aurait été utilisée de manière illicite dans le morceau « 4 Kampé » de Joé Dwèt Filé, sorti à l’automne 2024. Le producteur haïtien accuse l’artiste et ses collaborateurs d’avoir intégré des éléments sonores, des extraits de paroles, une structure musicale similaire, ainsi que des images issues du clip original de « Je Vais », sans avoir obtenu la moindre autorisation.
Rouzier souligne que cette appropriation aurait généré un important succès commercial pour « 4 Kampé », qui aurait franchi la barre des 100 millions de vues sur YouTube Music en avril 2025, tout en laissant l’auteur original sans reconnaissance ni compensation.
La reconnaissance publique sans autorisation formelle
Ironie de l’affaire, Joé Dwèt Filé aurait lui-même reconnu, lors d’une entrevue, avoir samplé « Je Vais » dans une volonté de rendre hommage à la culture haïtienne. Toutefois, cette reconnaissance n’a jamais été suivie d’une démarche légale pour obtenir une licence d’utilisation, ce qui constitue, selon Rouzier, une violation claire de ses droits d’auteur.
L’affaire a pris une nouvelle ampleur en mars 2025 avec la sortie de « 4 Kampé II », un remix de la chanson original, cette fois en collaboration avec Burna Boy. Rouzier affirme que cette seconde version perpétue l’usage non autorisé d’éléments essentiels de son œuvre, tout en étant commercialisée sous plusieurs titres différents, parfois même sous le nom de « Je Vais 4 Kampé II ». Ce succès grandissant aggraverait, selon le plaignant, le préjudice tant financier que moral.
Le rôle inattendu de Tonton Bicha
Autre point notable du dossier : la participation de Tonton Bicha lors d’un concert à New York où il aurait interprété une partie de « Je Vais » dans le cadre d’une performance de « 4 Kampé ». Rouzier rappelle que l’acteur avait participé au clip original de la chanson en 2002, et qu’il était donc pleinement conscient des droits liés à cette œuvre. Sa présence dans cet événement est donc perçue comme une violation délibérée des droits du compositeur.
@therealmimimonroe TONTON BICHA x JOE DWET FILE 🚨 LIVE : Bentleys (left of stage) Since everyone else is dropping they video of last night. Here’s mine #joedwetfilechallenge #tontonbichachallenge #haitiantok
Il est important de noter que la chanson « Je Vais » de Fabrice Rouzier s’inspire de « Ti Tass », un morceau du groupe haïtien Les Frères Dodo. Cette chanson figure sur leur album Soufri Pou Genyen, sorti en 2007. En tant que producteur et arrangeur, Rouzier a adapté « Ti Tass » dans une version modernisée, contribuant ainsi à la préservation et à la diffusion du patrimoine musical haïtien. A noter que le célèbre producteur haïtien
Ce que réclame Fabrice Rouzier
Dans sa plainte, Rouzier demande :
- Une compensation financière pour les pertes économiques et les atteintes à sa réputation ;
- Le versement de redevances impayées liées à l’exploitation de « 4 Kampé » et « 4 Kampé II » ;
- L’interdiction immédiate de diffusion de ces œuvres et de leurs vidéoclips ;
- La destruction de tout contenu utilisant illégalement sa musique ou son image ;
- Et la reconnaissance légale de ses droits exclusifs sur « Je Vais ».
Fabrice Rouzier and B.E Relations LLC vs Joe Gilles (Joe Dwèt File), Société DF Empire, Play Two (label indépendant), Damini Ogulu (Burna Boy), Atlantic Records Group, Universal Music Publishing France and Daniel Fils Aimé (Tonton Bicha) pic.twitter.com/LszWKoAPRI
— Chrismy is getting it to at least 1000 (@LikeChrisss) April 24, 2025
Selon un proche de l’artiste, cette démarche va au-delà d’une simple querelle musicale :
« Ce que je défends ici, c’est plus qu’une chanson. C’est le droit de chaque créateur haïtien d’être respecté dans son travail, peu importe où son œuvre circule ».
Fabrice Rouzier, pour sa part, a indiqué qu’il laisserait la justice suivre son cours et ne fera aucun commentaire public à ce stade.
Résumé de l’affaire : Cliquez ici
Une affaire qui relance le débat sur la propriété intellectuelle
Au-delà du cas spécifique de Fabrice Rouzier, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la protection des droits d’auteur et la reconnaissance de la propriété intellectuelle, en particulier pour les artistes issus de pays souvent marginalisés dans les circuits internationaux. Dans un contexte où la mondialisation permet une diffusion rapide et massive des œuvres, il est crucial que les créateurs puissent bénéficier d’un cadre juridique clair et efficace pour défendre leurs droits.
Respecter le droit d’auteur, ce n’est pas seulement une question légale : c’est aussi une manière de valoriser la créativité, de préserver la diversité culturelle et de garantir que les artistes — quelle que soit leur origine — puissent vivre de leur art. Ce procès pourrait ainsi devenir un précédent important dans la lutte pour une reconnaissance équitable des œuvres caribéennes et africaines sur la scène musicale mondiale.
Source : Chokarella