Société

« Li pa medsen, ni avoka, je n’en veux pas »

Le parcours de l’homme sur terre est marqué par de grandes décisions parmi lesquelles on retrouve “le choix de son partenaire de vie”. Ce dernier est tellement important qu’il peut avoir des répercussions tant positives que négatives sur sa vie. Comme pour la sélection d’un candidat à un poste de travail, certains définissent des critères, créent le profil de ce qu’ils appellent “la personne idéale, le/la conjoint(e) de la destinée”.

Reconnaissant l’importance de cette décision, la société se crée une perception de la bonne personne en se basant sur des critères socio-économiques. Elle va jusqu’à même frapper de son préjugé les professions. Même si le proverbe dit qu’il n’y a pas de sot métier, elle n’est pas de cet avis et dit que tous ne sont pas égaux et n’offrent pas les mêmes débouchés. Les plus pesants dans la balance, alors les favoris, sont la médecine et le droit. Lorsqu’on a un partenaire exerçant un de ces deux, le respect est en mode  supérieur, l’apport financier, la fierté aussi ; c’est en quelque sorte ce qui nourrit cette mentalité de : “depi l pa medsen, ni avoka, li pa ideyal la”.

Influence sociétale

Le tableau social présente le monde professionnel comme une balance dont l’un des plateaux contient les métiers lourds, les grands métiers et l’autre, les petites professions. L’équilibre ne tient pas. Leur catégorisation est faite en fonction de leur rentabilité, le temps d’étude et les coûts qu’ils exigent ; et même le protocole qui marche avec. “Gen metye depi w gen nan men w, ou tou mache ak etikèt sou ou e w pap trennen atè a ; gen metye leve tèt (fè fyète paran w ak fanmi w), metye gwo moun, metye moun ak kòb ; konsa tou genyen ki se ti degaje, metye malere, metye pitit sòyèt…”

L’orientation professionnelle d’une personne en dit long sur son origine, son appartenance sociale. À chaque classe, son métier. Exercer celui d’une catégorie qui n’est pas sienne peut donner lieu à deux réactions selon le cas :

  • Soulever l’admiration : c’est comme une sorte de dépassement de soi, une volonté de se démarquer. C’est aussi une fierté. Ex : Médecine, Droit, Diplomatie, Génie civil…
  • Susciter un tas de critiques : la personne devient un sujet de honte, de moquerie. Ce qui peut pousser ses parents à le nier. Ex : Agriculture, élevage, maçonnerie…

N.B. D’une société à l’autre, la considération d’une profession peut varier. Tel est le cas pour l’enseignement qui est très peu considéré et valorisé en Haïti tandis que dans d’autres pays, c’est l’un des plus valorisés.

À cause de ce préjugé, le choix de carrière ne se fait plus dans la plupart des cas par amour ou en fonction de sa capacité mais est plutôt devenue une question d’image. Et cela ne sera pas sans effet sur les relations dites amoureuses. L’amour est piétiné au détriment des intérêts et des titres car les gens cherchent plus à paraître qu’à être ; ils se soucient plus de ce que la société peut penser d’eux que de ce qu’ils veulent réellement. “Si m Madan Doktè, g on fason sosyete a ap wè m, g on fyète nan di m se Madan Avoka… Nan fanmi m soti, m paka pran nenpòt ki moun pou madanm ; m s on avoka, m pa ka bese nivo a, si l pa yon doktè, avoka m pa vle l, g on prestij m vle kenbe…”

Influence parentale

Une volonté de voir ses enfants réussir

Ce qui fait la plus grande joie des aînés c’est d’assister au succès de leur descendance. Cependant, ils ont un schéma bien détaillé de ce qu’ils entendent par succès : Boucler les études classiquesFaire des études universitaires – Avoir un boulotSe marierAvoir des enfants.

S’il était au pouvoir des parents de choisir pour leurs enfants, quoique certains le fassent, leur dévolu serait porté sur les plus rémunérés, les plus respectés. Mais pourquoi cette préférence ? Toutes les réponses à cette question ont une portée sociale mais peuvent être résumées en trois (3) grands points :

  • Préservation de l’honneur familial : Dans certains cas le métier imposé est celui de la famille, c’est un héritage légué de génération en génération, peu importe les prétentions et les aspirations du descendant. Ne pas le pratiquer serait comme briser une règle, tourner le dos à une tradition, salir l’image des prédécesseurs… Dans d’autres cas, l’enfant a le droit de choisir mais seulement parmi les imposés. Et ce ne sont pas n’importe lesquels, ceux qui sont capables de garder le niveau.
  • Ce métier à tout prix : Il y a des familles qui exigent la carrière qu’aurait voulu faire un des parents ou du moins les deux aux enfants. Pour des raisons peut-être économiques, cette maman ou ce père n’a pas pu apprendre le métier de ses rêves mais comme on le dit souvent : “voir son enfant réussir c’est réussir deux fois” ; sa progéniture doit le faire à sa place qu’elle le veuille ou non.
  • Une recherche de respect et d’honneur : Dans les familles les moins fortunées, le choix de carrière est souvent perçu comme une quête de respect, une volonté de se distinguer. On entend souvent des phrases comme : “Dans notre famille, il n’y avait jamais eu d’Ingénieur, de Docteur ou d’Avocat avant, si notre enfant arrive à le faire, ce sera bien plus qu’un honneur et la fierté sera énorme”.

Ils seront capables de se battre bec et ongles pour pousser cet enfant jusqu’au bout, surtout lorsque c’est son choix.

N.B. Les impositions d’options peuvent être faites de deux façons :

  • Directe : Elle est déclarée, il n’y pas possibilité d’en discuter.
  • Indirecte : On en parle souvent jusqu’à porter à l’accepter (c’est un travail psychologique) et/ou on fait ressortir les avantages du métier par rapport aux autres.

Un sentiment protecteur

Les parents ont souvent tendance à être très protecteurs. Ayant conscience de ce que signifie “choisir quelqu’un pour être son compagnon/sa compagne” ils gardent toujours un oeil sur les fréquentations du fruit de leurs entrailles surtout lorsqu’il est de sexe féminin. Il y a la fameuse question “qu’est-ce qu’il/elle fait dans la vie ?” qui intervient à chaque fois que la phrase “je voudrais vous présenter quelqu’un” ou “j’ai quelqu’un dans ma vie” vient sur la table. Et c’est cette même interrogation  qui va définir des restrictions en ce qui a trait aux professions, toujours en quête d’honneur et d’intérêt. Ce qu’ils expliquent par “m p ap ka lage pitit mwen nan men nenpòt ki moun”.

Certaines familles sont très tolérantes ou disons moins strictes. Pour elles, tant qu’il y a de l’amour, du respect et une volonté de réussir et de grandir ensemble cela leur va, peu importe le métier que fait le futur gendre ou la future belle-fille.

Le bonheur de la famille, et un lendemain assuré

Sous prétexte que “Bourik fè pitit se pou do l poze”, sans même penser au fait qu’il y a des Bourik prétentieux et paresseux, certains paternels s’initient totalement dans la vie de leur lignée, violent son intimité et prennent les rênes comme quand ils étaient bébés. Ils contrôlent tout ; ils pensent que c’est la seule façon de s’assurer que leur espoir, celui sur qui repose l’avenir et le bien-être de la famille, n’échoue pas.

Influence patriarcale

Le patriarcat a, en partie, son empreinte dans cette situation. Quoiqu’on la trouve chez les deux sexes, elle est plus fréquente chez la gent féminine. Plaçant l’homme dans une position dominante, le système patriarcal pousse la femme à se sentir dépendante de ce dernier et a tendance à lier son bonheur à lui. Ce qui est souvent appuyé de son entourage : “Degaje w jwenn on moun pou ede w leve atè a”. Comme si à elle seule, comme le fait la lignée d’Adam, elle ne peut pas construire sa personne, avoir une carrière et être financièrement stable. “Jwenn yon moun leve w atè a, pa vle di nenpòt ki men se yon moun ki gen nan men l, ki ka ede w ak fanmi w e anpil fwa se a Doktè, Enjenyè, Avoka elatriye, yo atribye sa yo”.

Protégée par la société et surtout embrassée par la plupart des parents, cette préconception liée aux métiers a fini par s’installer dans la mentalité de plus d’un. Sans même s’en rendre compte ils se servent de la discrimination pour trouver leur Eve ou leur Adam.

Avec l’évolution des temps et les différents changements qui s’opèrent, cette tendance tend à s’inverser. La question de grandes et de petites professions commence aujourd’hui à ne plus être importante. Aujourd’hui, les gens se focalisent plus sur la rentabilité d’une carrière plus qu’à son titre. Le nombre de personnes se tournant vers les métiers manuels et l’entrepreneuriat s’accroît tellement de façon rapide et inexpliquée qu’on se demande si la médecine et le droit sont toujours les favoris. Et s’ils ne le sont pas, qu’en est il de ce critère de choix de conjoint(e) ?

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