De l’atelier aux marchés internationaux : comment la propriété intellectuelle soutient les artisans haïtiens ?

L’émission « À Qui la Création ? » a consacré son huitième épisode à une discussion passionnante autour du thème « De l’atelier aux marchés internationaux : comment la propriété intellectuelle soutient les artisans haïtiens ? », avec pour invitée Stéphanie Sophie Louis, politologue, activiste, artisane et entrepreneure. À travers son parcours et ses réflexions, elle met en lumière les défis et les opportunités qui façonnent aujourd’hui le secteur de l’artisanat en Haïti.
L’expérience de Stéphanie reflète les défis majeurs auxquels font face les artisans haïtiens. L’insécurité, les crises politiques et la baisse du pouvoir d’achat ont fragilisé le marché local. L’accès aux matières premières est difficile, obligeant souvent à s’approvisionner à l’étranger, tandis que les coûts logistiques font grimper les prix à l’international de 30 à 40 dollars par produit. Dans un contexte où le tourisme décline et la demande locale s’affaiblit, les artisans doivent redoubler d’ingéniosité pour survivre.
Pour pallier ces obstacles, Stéphanie a entrepris plusieurs démarches à l’étranger. Grâce à des initiatives, elle tente d’intégrer le marché nord-américain, tout en développant des partenariats et en cherchant des investisseurs à Toronto, Montréal et Québec. En Colombie, elle a participé au Matchmaking Forum, un grand rassemblement de 10 000 artisans, et y a découvert de nouveaux matériaux comme la tagua, utilisée dans certaines de ses créations.
Au-delà de l’aspect économique, Stéphanie rappelle la valeur culturelle et immatérielle de l’artisanat haïtien. Chaque bijou, chaque pièce raconte une histoire, incarne une identité. Pourtant, cette dimension reste peu reconnue, même par les artisans eux-mêmes. En Colombie – d’après son expérience -, le gouvernement soutient pleinement ses créateurs, prend en charge leurs frais et valorise leur production au niveau national. En Haïti, au contraire, les artisans évoluent sans statut légal, sans protection sociale, ni reconnaissance officielle.
Ce manque de cadre juridique touche aussi à la question de la propriété intellectuelle. Les créations artisanales haïtiennes ne sont pas protégées contre le plagiat. Stéphanie plaide donc pour une réforme en profondeur : il faut définir clairement “ce qu’est l’artisanat haïtien”, établir un système de vérification des produits, et surtout, élaborer des lois pour protéger les œuvres et sanctionner les violations de droits.
Malgré les obstacles, Stéphanie reste convaincue du potentiel du secteur. Elle encourage les jeunes artisans à valoriser leur créativité, à développer leurs compétences entrepreneuriales et à utiliser les réseaux sociaux pour explorer de nouveaux marchés. « Pa pè met pri sou travay nou », affirme-t-elle. « Formez-vous, entreprenez, et regardez au-delà des frontières tout en restant connectés à vos racines ».
Coup d’oeil sur Addacha KREYASYON, entre tradition et modernité
Fondée en 2021, Addacha KREYASYON est l’entreprise artisanale dirigée par Stéphanie Sophie Louis. Spécialisée dans la fabrication de bijoux, elle marie les matériaux traditionnels haïtiens à des designs contemporains. Autodidacte, Stéphanie s’est formée à la bijouterie grâce à des tutoriels sur TikTok. Pour elle, l’artisanat est à la fois un moyen d’expression culturelle et une opportunité économique.
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« Je me considère autant artisane qu’entrepreneure, tout en restant politologue de formation », confie-t-elle.
En somme, à travers son parcours, Stéphanie Sophie Louis incarne cette génération d’artisans qui rêvent d’un cadre mieux structuré, où la créativité haïtienne est reconnue, protégée et célébrée à sa juste valeur – sur le plan national comme international.