
Haïti : quand la colère gronde, le cri d’un artiste devient celui du peuple
Haïti : quand la colère gronde, le cri d’un artiste devient celui du peuple
Dans une lettre ouverte cinglante, le musicien Raoul Denis Jr interpelle le gouvernement de transition, les forces de sécurité, les autorités internationales et les “héros” silencieux.
Le silence officiel contraste avec le fracas des mots. Dans une lettre ouverte diffusée ce 18 avril, l’artiste haïtien Raoul Denis Jr, connu pour son engagement citoyen autant que pour son talent musical, livre un texte brûlant de colère, d’indignation et de vérité crue. Un véritable coup de poing adressé au Conseil Présidentiel de Transition (CPT), au Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, à son gouvernement, à la Police Nationale d’Haïti (PNH), aux Forces Armées d’Haïti (FAD’H), aux autorités kényanes et à tous ceux qu’il accuse de complicité ou d’indifférence face au chaos actuel du pays.
Un ras-le-bol national mis en mots
Dans cette lettre, Raoul Denis Jr ne mâche pas ses mots : « Mwen ekri nou ak kòlè nan vant, ak vant plen anvi vomi, ak pwen sere », entame-t-il. Il revient avec amertume sur la journée du 16 avril, où un important dispositif sécuritaire a été déployé pour réprimer une manifestation pacifique menée par le commandant Samuel au Canapé-Vert. Pour lui, ce contraste avec l’inaction des mêmes forces face aux zones gangrenées par l’insécurité chronique est une preuve éclatante d’un État à deux vitesses, prompt à protéger ses élites mais absent lorsqu’il s’agit de défendre les citoyens ordinaires.
“Nou fè moun anvi vomi”
Le ton monte au fil des paragraphes. Les accusations sont frontales, sans détour : complicité avec les gangs, trahison des valeurs républicaines, usage sélectif de la force publique, abus de pouvoir, et surtout lâcheté face à la souffrance du peuple. Le co-fondateur du groupe Zèklè se positionne comme la voix d’une population délaissée, appauvrie, déplacée, violentée, qui « n’a plus peur » et « est en colère ».
Il dénonce également le retour du budget de guerre et l’instauration de l’état d’urgence, en posant une question cruciale : s’agit-il d’un outil pour briser les gangs ou pour museler davantage le peuple ?
Des critiques personnelles assumées
L’artiste s’adresse aussi directement à des figures précises. À Alix Didier Fils-Aimé, il reproche de salir l’héritage du père, le regretté Alix “Boulon” Fils-Aimé. Il lance des piques aux chefs de la PNH, au général Rameau Normil, à l’ex-directeur de la police Mario Andrésol, et même aux autorités kényanes, accusées d’être complices d’une opération internationale inefficace.
Un appel au renouveau
Dans les dernières lignes, Raoul Denis Jr s’adresse à la jeunesse, aux leaders invisibles, aux potentiels sauveurs silencieux. Il interpelle aussi les héros d’hier, devenus absents ou inactifs, et appelle à un changement générationnel, à une transition véritable menée par ceux qui comprennent les souffrances et les aspirations du peuple.
Un avertissement clair
« Lèt sa se yon plòt krache, yon vomisman, yon avètisman », conclut-il. Et sous le regard des Très-Hauts, il annonce que le peuple est prêt, que les digues sont sur le point de céder.
Cette lettre ouverte de Raoul Denis Jr dépasse donc le simple exutoire personnel : elle cristallise un sentiment collectif d’épuisement, de trahison et de colère, partagé par une grande partie de la population haïtienne. Elle rappelle que lorsque les institutions faiblissent, que les élites se ferment au dialogue et que la justice se fait complice du chaos, la parole des citoyens, des consciences éveillées peut devenir un acte de résistance. Dans un pays au bord de la rupture, cette lettre n’est pas seulement une dénonciation — c’est un signal d’alarme. Et ceux qui l’ignorent prennent le risque de ne pas voir arriver la tempête populaire qui, déjà, gronde au loin.