C’est un spectacle auquel nous sommes habitués en Haïti, dès qu’une personnalité publique décède, les réactions de sympathie fusent de toute part. Ce n’est en rien une mauvaise chose, mais pourquoi toute cette admiration et ce trop-plein d’amour n’ont pas été manifestés de son vivant ? On n’irait pas jusqu’à parler d’hypocrisie, mais la chose à de quoi laisser perplexe. À croire que la valeur et les exploits de ces génies créatifs n’apparaissent qu’une fois leur souffle de vie éteinte.
Pourtant, il suffit d’être un peu attentif pour remarquer leurs accomplissements dans leurs domaines respectifs. Cessons donc d’attendre l’œuvre de la mort pour témoigner notre reconnaissance à ceux et celles qui ont consacré une bonne partie de leur existence à embellir la nôtre. Le décès tragique du chanteur à succès Michaël Benjamin continue de hanter nos journées. Ses œuvres musicales iconiques et sa longévité dans l’industrie ont fait de lui une légende. Avant lui, beaucoup d’autres figures emblématiques de la culture haïtienne ont connu pareil sort. C’est-à-dire qu’après des années passées à étaler leur génie à la face du monde, ils ont reçu plus de sympathie après leur mort que quand ils étaient en vie. C’est à travers les réseaux sociaux que l’on constate le plus ce phénomène : pour gagner une reconnaissance méritée pour leurs œuvres, nos talents nationaux doivent mourir. Dit comme ça, cela parait un peu cru, mais c’est bel et bien ce qui ce passe.
C’est toute une culture que de savoir honorer ceux et celles qui le méritent pendant qu’ils respirent toujours. Les personnalités auxquelles je fais référence méritent plus que des honneurs, attendre qu’elles décèdent pour enfin le leur donner revient à cracher sur leurs sacrifices. Certains utilisent leur voix pour nous charmer et chasser la tristesse dans nos cœurs, d’autres utilisent leurs plumes pour nous aider à faire face aux pires situations imaginables pour une société, d’autres préfèrent utiliser les médias comme canaux de diffusion afin de nous divertir tout en nous éduquant. Sans les artistes, qu’auraient été nos nuits noires ? Sans les écrivains, qu’auraient été nos moments de solitude ? Sans les humoristes, auront nous été capables de sourire en ces temps de détresse ?
C’est toujours marrant d’entendre quelqu’un dire que ce n’est qu’une fois partie qu’il a saisi l’importance d’une personne. Faudrait-il comprendre que seule l’absence de ces héros nous poussera à les apprécier à leur juste valeur ? Emmeline Michel, Gary Victor et Gaëlle Bien-Aimé – pour ne citer que ces trois-là -, ne méritent-ils pas d’être honorés pour leur grande contribution dans la valorisation de notre identité de peuple nègre ? Vous conviendrez que la réponse est évidente. Alors tout en nous imprégnant de leurs créations, soyons reconnaissants d’avoir la chance de les connaître de leur vivant. Par tous les moyens possibles, honorons les.
Une fois qu’ils auront rejoint l’au-delà, c’est avec le cœur léger que nous pourrons pleurer leur départ. De leur vivant, ils sauront notre amour, ils auront vu et senti notre admiration, ils auront touché du doigt notre respect pour leur génie. Donnons donc à ceux et celles qui le méritent des milliers de roses tant qu’ils sont parmi nous. Tout comme un petit message sur les réseaux, une cérémonie grandiose ferait aussi l’affaire, l’important est ailleurs.
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