
Enfance brisée, adulte en quête de rePÈRE
L’enfance, c’est censé être l’une des étapes les plus heureuses de notre vie. Une période où l’on découvre le monde avec innocence, où l’on se sent protégé, entouré d’amour, où on apprend à aimer et à se construire. Un père, souvent, c’est ce repère, cette force qui guide, qui rassure et qui protège. Mais en Haïti, ou partout ailleurs, combien d’enfants grandissent sans cette présence ? Trop.
Absence par abandon, par séparation, par décès… Peu importe la raison, le vide laissé derrière ne se comble pas avec le temps. Il s’infiltre dans la personnalité, dans la manière d’aimer, dans les choix de vie. Certains deviennent des murs de béton, incapables de montrer leurs émotions. D’autres cherchent désespérément à combler ce manque, souvent de la pire des façons.
Des études scientifiques ont mis en évidence l’impact de l’absence paternelle sur le développement des enfants et leurs relations futures. Par exemple, un article publié dans “enfant encyclopédie” souligne que les filles ayant grandi sans père présentent un risque accru d’activité sexuelle précoce. Cette absence paternelle peut entraîner une quête d’affection et de validation chez les partenaires masculins, aboutissant à des relations amoureuses instables ou destructrices. Et en plus, une enquête menée en Afrique subsaharienne a révélé que 30,5 % des femmes et 25,1 % des hommes ont vécu une absence parentale durant leur enfance, associée à une détresse psychologique accrue et à une consommation de substances psychoactives. Les femmes ayant connu cette absence présentaient plus de risques de souffrir de détresse psychologique modérée ou sévère que celles ayant grandi avec leurs deux parents présents. Brad, Julie, Anthony et Sophie sont de ceux-là. Ils ont grandi avec ce vide. Et même devenus adultes, ils portent encore les cicatrices.
Julie a 28 ans, mais elle se sent encore comme cette petite fille vulnérable. Elle a grandi avec un lourd secret : une agression qu’elle a subi à 9 ans. Pendant des années, elle a gardé ça pour elle, persuadée que personne ne la protégerait. Aujourd’hui encore, elle cherche inconsciemment cette sécurité qu’elle n’a jamais eue. Dans ses relations, dans ses amitiés, un besoin presque maladif d’être rassurée. Il y a quelques mois, après vingt ans de silence, elle a fini par parler à son père.
“Mwen te swete li di m li regrèt paske l pa t la pou pwoteje m. Paske li pat fè m santi m an sekirite pou m pale. Men li pa t okipe sa. Sa pa di l anyen. Li jis di ebyen ou la toujou gen moun ki viv plis toujou”.
Mais qui fait ça à sa fille ? Elle a compris enfin qu’elle n’aurait jamais les réponses qu’elle cherchait. Que parfois, un parent ne peut pas guérir une blessure. Et nous, on envoie plein d’amour à Julie.
Brad lui, avait six ans quand son père est mort. Il ne nous a pas raconté grand-chose, juste que, du jour au lendemain, il a dû devenir fort. “J’ai grandi en me disant que rien ne pouvait être pire que la mort. Peu importe ce qui m’arrivait, je devais juste avancer”. Il porte un masque, il se protège. Dans ses relations, il est distant, froid, incapable de montrer ses émotions. Il ne comprend pas ceux qui s’effondrent. Pour lui, la douleur, ça se surmonte. “J’ai appris très jeune que personne ne viendrait me sauver. Alors j’ai arrêté d’attendre”. Pour lui, pleurer sur son sort n’a jamais été une option. En fait, il n’a pas tort. Mais tout le monde n’a pas cette force émotionnelle. Ou du moins, ne l’a pas encore. Et nous, on te comprend Brad.
Anthony, 25 ans, n’a jamais connu son père. Toute sa vie, il a cherché une raison à cette absence. Résultat : une colère permanente, un sentiment d’incomplétude. “Je me sens incomplet. Comme s’il me manquait un bout de moi”.
Sophie, elle, a grandi avec un père présent, mais absent émotionnellement. Elle a appris à ne pas compter sur les hommes, à ne jamais trop s’attacher. “Dès qu’un homme s’approche trop, je fuis”.
Alors, brisons le cycle !!
Que l’absence soit physique ou émotionnelle, elle laisse des traces. Certains, comme Brad, en font une armure. D’autres, comme Julie, cherchent encore à guérir. Mais une chose est sûre : on ne sort jamais indemne de l’absence d’un père. On apprend juste à vivre avec.
Haïti compte déjà trop d’enfants livrés à eux-mêmes. Trop d’adultes qui traînent des blessures d’enfance. Être parent, ce n’est pas juste “fè pitit”, c’est être présent. Si vous voulez être père : Soyez présent, pas juste physiquement, mais émotionnellement. Écoutez vos enfants, même quand c’est inconfortable. Apprenez à montrer votre amour. Et Si vous voulez être mère : Ne faites pas porter à votre enfant le poids de vos propres blessures. Protégez, mais sans enfermer. Voyez votre enfant au-delà de ses réussites ou de ses échecs. Et surtout trouvez un bon père pour votre enfant.
L’enfance est une fondation. Si elle est bancale, tout l’édifice est fragile. Brisez la chaîne. Apprenez à aimer autrement. Ne transmettez pas vos blessures. “Nou konprann paran nou yo pa t resevwa ase lanmou nan men granparan nou yo. Men nou menm, nou ka fè diferans lan. Sinon, pa fè pitit”.