Culture

Le carnaval en Haïti : Une tradition en mouvement

Carnaval-Haiti-via-Le-Nouvelliste

Le carnaval national se tenait à Port au prince chaque année. Avec ses défilés, bandes à pied, chars allégoriques et musicaux. Des reines somptueuses et une foule prête à se défouler. Mais depuis un certain temps le carnaval bouge, Des Cayes aux Gonaïves, tous les départements semblent prendre désormais part à cette tradition. Et l’année 2021, du 14 au 16 Février, les Port-de-Paisiens étaient à l’honneur. Mais d’où sort vraiment le carnaval ?

Le carnaval haïtien est une grande fête populaire organisée dans une ambiance d’allégresse de décor créé par la musique, la danse, le déguisement, les couleurs, la gourmandise et même l’ivresse atteignant souvent la frénésie. D’origine païenne, cette fête laïque est un produit colonial importé d’Europe. Au Moyen-âge le carnaval était célébré comme les dernières réjouissances mettant fin aux festivités du nouvel an avant d’entrer dans la grande période de pénitence appelée Carême. Dans la liturgie catholique, le mardi gras précède le mercredi des cendres : l’un est célébré par la musique et la danse frisant la débauche ; l’autre est consacré par les cendres et le jeûne, signes de recueillement et d’abnégation. À ses débuts, le carnaval haïtien a été un simple événement frénétique ; mais avec le temps, il se transforme en une parodie mettant en scène la vie sociale. Depuis des décennies, il devient une fête nationale prise en charge par les autorités établies. En dehors du financement et des préparatifs, il existe une ambiance particulière qui conduit à une grande effervescence. Le théâtre carnavalesque est joué par un ensemble d’acteurs classés en groupes mineurs, troupes folkloriques, bandes à pied et en mini orchestres.

Il serait fastidieux de faire le portrait de tous les acteurs rangés dans cette catégorie. On peut seulement tenter de les énumérer comme on vient de le faire et de présenter des exemples parmi ceux dont l’action et le déguisement expriment clairement une moralité. A propos, les travestis se révèlent importants. Il s’agit en général des acteurs se déguisant en femme. Ce déguisement provoque le rire et anime la foule, car dans l’imaginaire de l’Haïtien, l’attrait sexuel de la femme est perçu dans la rondeur des fesses. Quant à « madan bwino » ou « mada’aman », c’est la parodie de la nymphomanie. En effet, le machiste haïtien n’entend pas voir la femme exprimer ses désirs sexuels. En le faisant, elle est perçue comme une nymphomane ou tout bonnement comme une pute. « Madan Bwino » ou « mada’aman » sont des caricatures de femmes nymphomanes. Par contre, la morale populaire condamne la frivolité du machiste qui abuse sexuellement les femmes. Selon la croyance populaire, les abuseurs de femmes sont châtiés d’envoûtement.

Certaines troupes folkloriques mettent en scène les croyances populaires: elles sont souvent désignées par des dénominations comme: « Soley Ginen», « Congo Ginen », «Rara Ginen», « Gran Ginen lafrik », «Association des hougan et manbo d’Haïti », etc. Ces troupes sont généralement formées de vodouisants. Les cultes ancestraux sont parmi éléments véhiculés. Les bandes à pied sont des groupes musicaux qui animent les rues et les quartiers populaires durant la période pré-carnavalesque. Chacune d’elles a une histoire liée à des activités autres que le carnaval et parfois hors de la sphère musicale.  Quant aux mini orchestres, ils résultent des influences étrangères sur la musique haïtienne. Le bicentenaire de la ville de Port-au-Prince, célébré en 1949, a provoqué un grand affolement pour la musique des jazz ou des orchestres. À partir des années 60, les orchestres ou les mini jazz se répandaient en Haïti et s’imposaient comme groupes musicaux animant les festivités carnavalesques.

Aujourd’hui, certains d’entre eux imposent leurs conditions de participation. Les organisateurs en tiennent compte, car ils savent que leur absence peut susciter des critiques, voire réduire l’animation des rues et l’affluence de la foule. Les autres traits caractérisant le carnaval haïtien sont les déguisements et les couleurs. En tant que support de parodie, les déguisements permettent aux acteurs non seulement de contrefaire, mais surtout de singer les attitudes et les comportements jugés incorrects. En se déguisant, les acteurs du carnaval font semblant d’imiter pour mieux ridiculiser certaines personnalités ou strates sociales. Quant aux troupes magico religieuses, elles ajoutent à leurs déguisements des objets sacrés et des couleurs propres aux esprits honorés. D’habitude, les « housi » portent des paquets enveloppés dans des mouchoirs faits de couleur des « lwa » : le  blanc  à «danbalah », le bleu ciel à « kouzen zaka », le rouge à « ogou », le gris à la sirène, le rose à « èzili fweda », le noir à « mèt kalfou », le vert à « legba », le jaune à « gran bwa ile », le noir et blanc à  « baron sanmdi », le mauve à « gran brijit », le bleu  foncé à « èzili dantor », le blanc aux «marassa », le jaune pâle à « klèmezinn », le bleu marin à ague, etc. Outre les déguisements, les couleurs jouent un rôle important dans le carnaval, d’autant que les deux éléments vont de pair. De plus, tous les fans savent que leur participation réside dans le port des vêtements ou des masques en couleurs brillantes. Ceci est fait non pour se montrer mais aussi pour contribuer au décor. Avec l’habillement de circonstance, chaque participant croit apporter une note d’embellissement au carnaval. Ainsi entend-on dire « kanaval se koulè ». Sans couleurs, pense-t-on, le carnaval n’a pas d’éclat.

Tout en restant une simple festivité populaire, le carnaval haïtien offre aux acteurs l’occasion de sanctionner les mœurs jugées répréhensibles et leur permet de dire à haute voix ce qu’ils n’oseraient murmurer en temps ordinaire. D’apparence, on peut y voir une simple réjouissance; mais en profondeur, le carnaval haïtien présente en miniature toute l’existence du peuple haïtien: son histoire, ses connaissances, ses créations, ses moralités, ses vicissitudes, et même ses aspirations. Sur le parcours, c’est toute la culture populaire d’Haïti qui défile devant les spectateurs. De là ressort la justesse de la réflexion de Michel Lamartinière Honorat (1955) qui voit dans cette fête populaire les éléments culturels permettant de rester en contact avec les anciennes traditions du pays. “L’Indien, l’Espagnol, le Noir et les Français, dit-il, tous les aïeux qui nous ont laissé leurs mœurs et coutumes se retrouvent côté à côté dans nos fêtes carnavalesques”.

Image de mise en avant (de couverture) via : https://lenouvelliste.com/article/198555/la-joie-repandue-dans-la-fete-la-plus-populaire-dhaiti-a-jacmel

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