Ce samedi 11 novembre 2023, la très sélective activité les “Jeudi de Saint-Louis” a repris après plus de trois années d’interruption. C’est au Karibe Convention Center que cet événement d’échanges et de dialogues a eu lieu, ceci avec une conférence réalisée autour du thème : “Comment oeuvrer à l’instauration d’un climat de paix durable et de prospérité en Haiti ?”
La Promotion 1991 des Anciens de Saint-Louis de Gonzague, supportée par la Fondation Des Anciens de Saint-Louis de Gonzague, a remis cette activité au goût du jour pour ce qui était sa 15ème édition, devant un public composé de certaines personnalités publiques haïtiennes, de quelques membres du secteur privé des affaires, du corps diplomatique, du secteur politique et de la presse. Le coordonnateur des Jeudi de Saint-Louis, Mr Almiracle Saint Fort, a prononcé les propos de bienvenue avant de décerner une plaque d’honneur et mérites au Docteur et Historien George Michel “pour son inestimable contribution à la pensée haïtienne et la vie nationale”.
“La création de richesse inclusive et équitable comme base de paix et de prospérité”
Par la suite Madame Darline Alexis, secrétaire générale à l’Université Quisqueya et modératrice pour l’occasion, a lancé la conférence en présentant le premier panéliste qui n’était autre que Geoffrey Handal, homme d’affaires haïtien et Président de la Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie (CFHCI). Le sujet abordé étant “La création de richesse inclusive et équitable comme base de paix et de prospérité”, Mr Handal a d’abord évoqué les deux pôles extrêmes de la réalité économique d’Haïti – d’un côté la grande majorité de la population qui vit dans une profonde pauvreté et de l’autre un petit groupe qui détient toutes les richesses du pays -, avant d’identifier quelques problèmes qui empêchent la création de valeurs comme l’absence de planification et la primauté des intérêts personnels au détriment du bien commun.
Il a poursuivi en disant que l’insécurité engendrée par les gangs armés est surtout basé sur des questions économiques, parce que les affrontements ont lieu pour permettre à certaines personnes d’avoir des avantages. Mr Handal a aussi mentionné le fait que l’État haïtien – en complicité avec le secteur privé des affaires – soit un ennemi de la libre entreprise, ce qui permet à ce petit groupe de tout contrôler. Pour finir, il a parlé du secteur de l’agriculture comme moyen de remobiliser l’économie locale en précisant que nous ne manquons pas de ressources, mais plutôt de créativité et de volonté.
“Au-delà de la crise politique et de l’insécurité”
Michèle Oriol, docteur en Sociologie et deuxième panéliste, a pour sa part fait une intervention sur le sujet : “Au-delà de la crise politique et de l’insécurité”. L’écrivaine haïtienne a débuté sa partie de la conférence en parlant de la recherche de la démocratie amorcée en Haïti après le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986. Pour elle, en plus de la complicité de la police dans certains actes de kidnapping, la population est elle aussi coupable de sa propre réalité. Pour étayer son argument, Madame Oriol pointe du doigt la dimension voyeuriste de l’insécurité avec le transfert d’images sanglantes opéré par la population sur les réseaux sociaux, ce qui contribue à renforcer le phénomène et à accélérer la déshumanisation de tous et le non-respect de la vie.
De plus, cette tolérance de certains individus est aussi à mentionner car la société cache aussi des choses. L’insécurité a commencé à prendre une autre tournure entre 1986 et 1995 avec la disparition de la police rurale. Michèle Oriol a parlé du crime international comme une raison évidente de la hausse de la criminalité en Haïti, en mentionnant l’implication de la diaspora – par le biais des “déportés” -, dont Wyclef Jean qui était directement lié à un chef de gang de Cité-Soleil (coup de fil pour l’avertir avant une intervention de la MINUSTAH). Pour la sociologue, l’effondrement de l’État a engendré l’effondrement de la justice par le biais de l’affaiblissement des institutions publiques. Pour finir, elle a mentionné le déséquilibre causé par un trop-plein de pouvoir donné au parlement, ce qui a contribué à cette situation où les élites sont absentes et où les jeunes n’ont qu’une idée en tête : partir loin d’ici.
“Construite la paix et la prospérité dans un État failli à l’ère de la globalisation”
En dernier lieu, le Sociologue et Professeur d’Université Alain Gilles a présenté le sujet “Construite la paix et la prospérité dans un État failli à l’ère de la globalisation”. Le docteur en Sociologie a d’abord précisé qu’en la présence d’un État faible comme le nôtre, la paix et la prosperité seront toujours absentes. Par la suite il a drésse un arrière plan historique d’Haïti, premier pays né d’une rupture avec un système colonial et esclavagiste. L’obessesion des élites à vouloir à tout prix être reconnus comme étant “civilisés” par l’Europe traduit selon lui un rejet de la culture vaudou et une absence de consensus entre les fondateurs de la nation sur la direction à donner au pays après l’acquisition de l’Indépendance.
Pour Alain Gilles, les colons sont restés même après 1804, et ont continué à faire appel à leurs pays d’origine (France, Angleterre, Allemagne…) pour les aider à défendre leurs intérêts. L’exclusion d’une partie de la population de la vie nationale avec la création d’un “pays en dehors” et l’occupation américaine d’Haïti sont aussi des raisons qui ont permis l’effondrement de l’État, aidé par la disparition des traditions de pensée et de la vie associative. Les ministres, sénateurs et députés haïtiens sanctionnés pour avoir trempé dans des affaires criminelles témoignent d’une situation catastrophique où les principaux axes routiers sont controlés par les gangs et où des familles sont chassées de chez eux à cause de la violence qui en résulte.
Mr Gilles a continué en disant que l’être haïtien a été réduit à son strict état biologique en ne vivant que pour survivre et satisfaire ses besoins primaires, dont la faim. Dans ce cas précis, il ne s’identifie plus à travers l’autre, qui devient même un ennemi à ses yeux ; ce qui détruit la cohésion sociale en rendant tout le monde méfiant. Il a terminé en établissant des liens entre paix et prospérité, et ensuite entre développement et fragilité de l’État, en s’aidant de statistiques révélateurs de la précarité d’Haïti.
Ce fût donc une conférence enrichissante en plein coeur de Pétion-Ville. Nous devons souligner que ses débats permettent d’identifier clairement les problèmes qui gangrènent la société haïtienne. Mais maintenant que des solutions sont proposées, à quand leur application ? Et surtout, par qui ?
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