Plus de 500 000 personnes fuyant la violence des gangs armés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, depuis plus de dix mois dans divers quartiers, se retrouvent aujourd’hui dans des camps de déplacés, selon l’Organisation Internationale de Migration (OIM). Si à la surface, la vie a fait semblant de reprendre sur le visage des enfants jouant dans ces écoles, ces sites improvisés servant d’abri provisoire, ou sur celui de leurs parents qui font tout pour redonner un sens à leur nouvelle vie, les conditions hygiéniques dans ces camps de déplacés témoignent d’une crise sanitaire persistante aggravée dans les périodes critiques comme celles-ci, menaçant à chaque seconde la vie et la santé des réfugiés, violant aussi leurs droits fondamentaux.
Au lycée Marie Jeanne à l’impasse Lavaud, presque tout a repris, sauf la vie en réalité. Des personnes, dépouillées de tout, essayent tant bien que mal de résister. Au milieu de la cour, à côté de la citerne servant de réservoir d’eau pour le site, une pile d’immondices fait office de spectacle. A moins de 100 mètres de celle-ci, Guirlène, s’affaire à terminer ses marinades et acras, sans se soucier des mouches qui font le va et vient entre sa barque à friture et la montagne d’immondice. « Fòk nou bay timoun yo manje, nenpòt jan, donk fòk ou demele w pou w fè yon bagay pou w ka okipe yo, se sa yo rele manman ». Un climat bruyant et impropre, avec des parents aux visages marquant tout le désespoir et la résilience d’un peuple qui ne jure que par la paix et la liberté.
Assis près de son “laye” d’épices, Dieunel raconte la vie dans le camp : « Gen yon sèl twalèt pou tout moun, ou sipoze peye 10 goud pou w gen aksè ak li, lèfini fòk ou mache ak dlo w. Moun ki pa peye yo, swa paske yo pa gen kòb oubyen paske yo pa edike pou sa, yo fè bezwen yo nan sachè nwa epi yo vòltije l devan baryè a, vòl dirèk ». En effet, c’est une autre montagne de détritus qui te reçoit devant le lycée, comme c’est le cas de plusieurs autres sites de déplacés tel le local de l’ancien lycée Marie Jeanne à l’avenue John Brown, tout près du Rex Théâtre et non loin du Ministère de la Communication. La situation au lycée Marie Jeanne se répète dans beaucoup de camps ici à Port-au-Prince ; si les réfugiés ne défèquent pas à l’air libre parce qu’ils n’ont pas de toilettes dans leur camp, ils le font parce qu’ils ne peuvent pas toujours payer les frais allant de 10 à 25 gourdes selon le site. Le bureau de coordination des actions humanitaires en Haïti, OCHA, précise à ce jour que plus de la moitié des sites de déplacés présentent des signes de défécation à l’air libre, une situation sanitaire inquiétante.
Dans certains camps de fortune, comme au Ministère de la Communication, l’accès à l’eau est un véritable casse-tête pour les réfugiés. Jeannette, une cinquantenaire, originaire de Carrefour-Feuilles qui vend du bouillon tous les jours au site du ministère explique son calvaire : « Mwen oblije peye chak galon dlo 40 goud, e fòk mwen peye yon moun pote l rive jis la ».
Plus loin, elle fait comprendre que les citernes du site sont disponibles, mais l’irrégularité des fournisseurs complique l’accès, et depuis plusieurs mois ils doivent acheter de l’eau potable et de l’eau courante. Une réalité qui traverse plusieurs camps de déplacés au centre-ville alors que d’autres en reçoivent régulièrement. Un responsable du site, Touré Maiémé, secrétaire en fonction fait état de sa frustration en raison de la situation précaire dans son camp : « Dlo a se yon bezwen primè, li pa ta dwe chè konsa e se pa nan tèt chaje sa pou nou ta jwenn kèk bokit. Pifò moun ki la pèdi travay yo, yo jis ap chèche yon mwayen pou yo viv, yo pa toujou gen lajan pou achte dlo byen chè e fòk yo manje, bwè, benyen epi netwaye kote yo ye a, tout sa se ak dlo pou l fèt ». Ferme au poste, assise dans son bureau, Madame Touré ne veut pas baisser la garde, elle reconnaît toutefois que beaucoup d’efforts sont consentis pour accompagner les refugiés dans cet état de crise : «Fòk nou di tou, gen anpil efò ki fèt men kondisyon ijyenik nan kan yo toujou deplorab, Nou souvan jwenn ka dyare, sitou lakay timoun yo, pwobableman se mank pwòpte ki fè sa ».
Le Dr Charlorin Bead Charlemagne, masterant en Santé Publique à l’Université Libre de Belgique, qui a accepté de participer à cette enquête, fait état d’une situation préexistante qui s’est aggravée en raison de la crise : « En réalité, l’accès à l’eau potable, l’assainissement et l’hygiène en Haïti, quoiqu’indispensable, a toujours été un problème majeur de santé publique. Longtemps avant cette crise humanitaire, l’UNICEF, dans un rapport intitulé: Eau, Assainissement et Hygiène (EAH) fait mention que près d’un quart de la population pratique la défécation à l’air libre et vit sans accès aux sources d’eau améliorées et aux installations adéquates pour le respect des règles d’hygiène; une situation qui ne fait que se reproduire, voire s’envenimer dans les camps de déplacés, augmentant la vulnérabilité des réfugiés pour les maladies féco-orales ». Le spécialiste, de son côté, dresse un bilan fatal de la réalité : « Manque d’accès à l’eau, aux toilettes, à l’assainissement, mauvaises gestions des déchets, promiscuité, manque d’hygiène dans les ménages, les défis sanitaires sont énormes et l’enjeu est vital », rappelle-t-il, tout en ayant soin de féliciter les efforts consentis par les acteurs humanitaires et les autorités étatiques pour accompagner les réfugiés. « Toujours et encore, même en situation de crise, il faut penser santé », martèle le docteur, exhortant les autorités à prendre leurs responsabilités.
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