Société

Le vodou haïtien au cœur de la controverse

Guettez toute discussion qui concerne les éléments faisant partie de l’identité culturelle haïtienne et vous verrez que le vodou sera mentionné à coup sûr. Il ne fait donc aucun doute que la croyance populaire admet le poids de cet héritage historique dans la vie sociale du pays. Mais malgré cela, aborder cette religion qui nous vient tout droit de nos ancêtres africains est bien souvent cause de controverses. Sympathisants ou détracteurs, partisans ou ennemis, le vodou ne laisse personne indifférent.

Origine du vodou

Le vodou – ou vaudou -, est une religion originaire du Royaume de Dahomey, qui est actuellement le Bénin, un pays d’Afrique de l’Ouest. Durant la période esclavagiste, les pratiques du vodou se sont développées sur le territoire de la colonie de Saint-Domingue à cause de plusieurs facteurs. Logiquement, le premier est la captivité de plusieurs milliers d’Africains, arrachés à leur terre pour ensuite être réduits en esclavage. Ceci dans le but de remplacer la population indienne – décimée par le travail forcé – par une main d’œuvre beaucoup plus “résistante”. Le deuxième est la volonté de ces captifs de se libérer de la tyrannie des colons de l’époque. Le vodou a été un moyen d’unifier les esclaves qui sont issus de tribus différentes autour d’une seule et même cause : le renversement du système esclavagiste.

Caractéristiques

Le vodou actuel est un composé de croyances diverses de ces esclaves amenés d’Afrique sous la colonie. Et l’un des termes qui est souvent mentionné pour caractériser cet ensemble de croyances est le syncrétisme religieux. Ce terme fait référence à un mélange d’influences entre plusieurs religions. Il faut rappeler qu’une fois débarqués à Saint-Domingue, les esclaves étaient tout de suite contraints de se convertir au christianisme, d’où la présence actuelle de certains éléments du catholicisme dans la pratique du vodou. On pense aux images des saints catholiques dans les houmforts et l’utilisation de la croix dans certains rituels.

Le vodou est le culte des esprits appelés Lois – ou Lwas -. Chacun de ses esprits est responsable d’un aspect de la vie de la population vaudoue. Les éléments sont représentés, tout comme ce qui fait l’essentiel des activités humaines sur le territoire. Chaque vodouisant entretient une relation directe avec un loa, que ce soit à cause d’un héritage familial ou par choix. Les dons d’offrandes, la création d’autels personnels et d’objets de dévotion et la participation à des cérémonies de danse et de possession sont les moyens pratiques utilisés par les adeptes pour préserver cette relation avec les esprits.

Vodou et indépendance

“1804 est issu du vodou”, cette phrase du Dr Jean Price-Mars résume à elle seule tout un courant de pensée qui fait du vodou le fil conducteur ayant permis l’acquisition de l’indépendance d’Haïti. La cérémonie du bois-caïman le 14 août 1791, le soulèvement général des esclaves dans la nuit du 21 au 22 août de la même année, la création du drapeau le 18 Mai 1803, la bataille de Vertières le 18 novembre de la même année et enfin la proclamation de l’Indépendance le 1er janvier 1804, tous sont des événements qui sont le fruit d’une unité solide créée et alimentée par les manifestations du vodou, qui ont été de véritables catalyseurs. Une jeune nation était née, mais la suite n’allait pas être aussi réjouissante.

Les campagnes de persécutions

Dès les lendemains de l’indépendance et au fil des années suivantes, plusieurs décisions ont été prises par les dirigeants haïtiens en matière de religion. Beaucoup, pour ne pas dire la majorité, n’ont pas été en faveur du vodou, comme la signature du concordat avec l’Église catholique en 1860, sous la présidence de Fabre Geffrard. Cette décision interdisait les danses vodoues, et les sympathisants catholiques n’hésitaient pas à brûler des drapeaux et autres matériels qui servaient lors des rituels, et à emprisonner des manbos et ougans sous l’excuse du cannibalisme. Par la suite, l’année 1912 a vu Cincinnatus Leconte et Tancrède Auguste lancer des campagnes anti-superstitieuses pour “sévir contre les adeptes du vodou”.

Les persécutions à l’encontre du vodou ont atteint leur apogée en 1941 sous la présidence d’Élie Lescot. Des chasses aux vodouisants ont été organisées sur tout le territoire du pays, et ceci avec l’aide de l’église catholique romaine, toujours proche du pouvoir. Cette “campagne des rejetés” a vu le lynchage de milliers d’adeptes et la destruction de centaines d’espaces symboliques. Ces agressions contre le vodou ont pris diverses formes, mais l’une des plus violentes reste celle-ci.

Reconnaissance légale tardive

Ce n’est que jusqu’en Avril 2003 que le vodou a été reconnu légalement comme religion à part entière. Par cette décision, le gouvernement de Jean Bertrand Aristide a permis aux vodouistes de pratiquer leur foi en toute liberté, mais cela n’a pas arrêté les persécutions pour autant. D’un autre côté, la population n’a pas attendu Aristide pour continuer à pratiquer ses cultes en privé ou même en public. Dans les Houmforts et autres lieux sacrés, le vodou a toujours attiré une foule de pratiquants. Tandis que cette religion était célébrée à travers des expressions culturelles comme les danses folkloriques et la musique racine, certains gouvernements l’utilisaient même à des fins purement politiques.

L’histoire du vodou en Haïti est étroitement liée avec ces deux réalités. Les critiques et la reconnaissance sont les deux faces d’une même pièce. Car pendant que ces manifestations ont par exemple permis au pays de rayonner à l’international lors de la célébration du bicentenaire de la ville de Port-au-Prince ou encore à travers la voix envoûtante de notre fameux Azor, certaines personnes se sont permis de mettre en cause le vodou dans la propagation du choléra en 2011. Mais il y a une chose que nulle campagne de persécution, nul discours dénigrant ou nulle propagande religieuse ne peut enlever, c’est que sans le vodou, nous serions un peuple dépourvu d’identité.

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