Bureau Haïtien du Droit d’Auteur : un procès simulé pour un droit réel
Le 27 octobre 2025, à l’occasion de ses 20 ans, le Bureau Haïtien du Droit d’Auteur (BHDA) a organisé un procès simulé sur le droit de suite. Ce mécanisme souvent méconnu, continue à déterminer le sort économique de nombreux artistes visuels en Haïti.
Les faits ont commencé en l’an 2000, lorsqu’un peintre vend à la Galerie Enarts un tableau intitulé Le pèlerin de la ville bonheur pour la somme de 2 000 dollars US. L’œuvre, alors acquise à ce prix, sera revendue vingt ans plus tard, quelques années après la mort du peintre, à une autre galerie pour 100 000 dollars US sans qu’aucune part ne revient à la famille du peintre.

S’estimant lésée, Tania introduit une saisine administrative auprès du BHDA afin d’obtenir la reconnaissance de sa part dans la transaction. En vertu de son mandat de protection des titulaires de droits, le BHDA adresse une sommation à la galerie Enarts. Devant l’inaction de cette dernière, le différend évolue en un contentieux fictif soumis à l’appréciation du Tribunal civil.
Compétence Ratione Materiae
Le premier point soulevé au procès fut celui de la compétence juridictionnelle. S’agissait-il d’une affaire commerciale relevant d’un tribunal de commerce ou d’un litige civil portant sur des droits patrimoniaux d’une œuvre de l’esprit ? En apparence, la revente d’un tableau entre deux galeries semble être une opération commerciale. Pourtant, la cause réelle du litige réside dans l’inexécution d’un droit patrimonial dérivé de la création artistique. En d’autres termes, ce n’est pas la transaction commerciale en elle-même qui est contestée, mais la violation du droit moral et économique attaché à l’œuvre. De plus, l’article 61 du Code de procédure civile haïtien confère aux tribunaux Civils la plénitude de juridiction pour toutes les affaires civiles, commerciales, correctionnelles et criminelles.
Le BHDA n’est pas l’avocat des artistes ?
Ce procès simulé a aussi mis en lumière le rôle du BHDA dans la protection des intérêts des artistes. Créé par décret en octobre 2005, le Bureau Haïtien du Droit D’auteur agit comme organe de gestion collective et institution de régulation morale et administrative du droit d’auteur. Les articles 3 et 51 définissent explicitement ses prérogatives :
Art3.- Le Bureau Haïtien du Droit d’Auteur a pour objet :
– d’assurer la défense des intérêts matériels et moraux des auteurs et interprètes de créations intellectuelles ;
– de garantir la protection et l’exploitation des droits des créateurs d’œuvres de l’esprit ;
– de travailler au regroupement d’auteurs haïtiens ;
– d’œuvrer pour la professionnalisation des divers secteurs de la création artistique ;
– de porter les personnes physiques et morales qui utilisent les œuvres des auteurs à travailler à la promotion, à la protection et au respect des droits d’auteurs et des droits voisins.
Art 51.- La protection et l’exploitation des droits des auteurs d’œuvres et des droits des titulaires de droits voisins tels qu’ils sont définis par la présente loi seront confiées à un organisme public de gestion collective dont la structure, les attributions et le fonctionnement sont déterminés par la loi. Les dispositions de l’alinéa 1) ci-dessus ne portent en aucun cas préjudice à la faculté appartenant aux auteurs d’œuvres et à leurs successeurs, et aux titulaires de droits voisins, d’exercer directement les droits qui leur sont reconnus par le présent Décret.
Cet organisme public de gestion collective gère sur tout le territoire de la République les intérêts des autres bureaux nationaux ou sociétés nationales et organismes étrangers dans le cadre de conventions
ou d’accords qu’il sera appelé à convenir avec eux.
La question de vente en Droit de Propriété Intellectuelle
D’un point de vue strictement civiliste, un tel procès serait dépourvu de fondement, puisque les articles 1367 et suivants du Code civil haïtien encadrent déjà la vente et en fixent les obligations essentielles.
En effet, un dictionnaire du droit privé définit la vente comme une convention par laquelle une personne dite “le vendeur” cède, à une autre personne dite “l’acheteur”, ses droits de propriété sur une chose ou une valeur lui appartenant. Ainsi, dans le droit civil, le transfert de propriété éteint généralement tout droit du vendeur sur la chose vendue.
Contrairement, dans le domaine du droit d’auteur la vente est conditionnelle. Si un plasticien peut céder la propriété matérielle de son œuvre, il ne peut aliéner le droit de suite qui y est rattaché. La vente d’un support artistique qu’il s’agisse d’une toile ou d’une sculpture ne transfère pas les droits patrimoniaux de l’auteur, lesquels subsistent indépendamment du bien matériel.
En effet, le dernier alinéa de l’article 7 du décret du 12 octobre 2005 réglemente la question du droit de suite en obligeant les marchands d’art à verser un montant de 5% à un auteur lors des reventes de ses œuvres aux enchères ou en galerie.
Autrement dit, bien que la galerie ait légitimement acquis le tableau, elle ne pouvait procéder à sa revente sans verser à l’auteur ou à ses ayants droit en l’occurrence, Tania la part prévue par la loi au titre du droit de suite. La vente initiale n’a donc opéré qu’un transfert de propriété matérielle, sans pour autant emporter cession intégrale des droits économiques attachés à l’œuvre.
La compétence ratione tempotis
Le droit d’auteur, par nature, n’est pas soumis aux délais de prescription ordinaires. Vingt ans après la première vente, certains auraient pu considérer que l’action de Tania était prescrite et donc irrecevable, mais le droit de suite confère à l’auteur ou à ses héritiers une protection patrimoniale continue.
Alors que le droit civil classique prévoit que l’écoulement du temps et l’inaction peuvent faire perdre un droit d’action, les œuvres de l’esprit bénéficient d’une protection durable allant de la durée de vie de l’auteur jusqu’à 60 ans après sa mort, période durant laquelle ses droits patrimoniaux sont protégés et transmissibles à ses héritiers. Cette particularité traduit la philosophie même du droit d’auteur, la création survit à son créateur et la loi en prolonge la valeur dans le temps.
Au‑delà de la technicité des articles et des débats sur les compétences ratione materiae et ratione temporis, ce procès simulé met en lumière une réalité sociale préoccupante : les artistes visuels en Haïti demeurent économiquement vulnérables dans un marché souvent désorganisé. Beaucoup de créateurs méconnaissent encore les droits qui les protègent, tandis que certaines galeries profitent fréquemment de cette ignorance pour exploiter leur travail.
Pourtant, le droit d’auteur, loin d’être un luxe juridique, est un droit économique fondamental. Il s’inscrit dans l’économie orange, fondée sur la créativité, la culture et la connaissance. Cette économie, lorsqu’elle est protégée, devient une véritable richesse nationale qui favorise la circulation des œuvres, attire les investissements culturels et renforce le développement économique et culturel d’un pays.
Cette simulation a clairement rappelé que, bien que les lois relatives au droit d’auteur et au droit de suite existent en Haïti, elles restent peu efficaces en pratique. Sans vulgarisation et sensibilisation auprès des créateurs, ces derniers risquent de demeurer les derniers bénéficiaires de leurs propres œuvres.
À travers ce procès, le BHDA se révèle comme un acteur central dans la protection des droits des auteurs et de leurs ayants droit. Cette mise en situation met en évidence l’urgence pour Haïti de mettre en place un dispositif juridique réellement effectif, encadrant le droit de suite, afin que la justice artistique dépasse la fiction et trouve sa pleine application dans le droit positif.

