Tout comme des éléments comme la langue, la musique ou la gastronomie, certains prétendent que la manière dont le transport public est organisé fait aussi partie intégrante de la culture d’un peuple. À y regarder de plus près, c’est un argument qui se tient.
En effet, n’est-il pas vrai que Londres est connue pour ses grands bus rouges et qu’on ne peut parler de transport en Chine sans mentionner les TGV supersoniques de la ville de Shanghai ? Ici en Haïti, le quotidien de la population est rythmée par les aller-retour incessants des Tap-Tap et des Bwafouye. Et s’il y a un personnage qui ne jouit pas d’une bonne réputation auprès des passagers haïtiens, c’est bien le “chofè adwat”.
C’est une construction bien ancrée dans l’imaginaire collectif haïtien, cette personne qui accompagne le chauffeur vient rarement en paix. Et comme parmi les passagers il y en aussi qui ont un caractère bien trempé, les altercations ne manquent pas. Les raisons qui peuvent expliquer cette tension qui existe entre ces deux catégories d’acteurs du secteur du transport sont certes nombreuses, mais parvenir à les identifier est une toute autre affaire. Néanmoins, nous pouvons toujours essayer de comprendre la chose.
Il n’est un secret pour personne que le transport public haïtien n’est pas réglementé. Même si l’État s’acharne à fixer les prix des trajets à chaque occasion, nous savons tous que les chauffeurs ne les respectent jamais. Les prix des courses changent au gré de la disponibilité du carburant, du climat sécuritaire des environs et de l’humeur des chauffeurs. Et donc quand il s’agit de faire la recette, l’argent payé par les passagers peut ne pas correspondre aux attentes du chofè adwat. S’en suit généralement l’échange de “mots affectueux” dont l’un des plus populaires concerne directement les affaires de nos mamans. Vous l’aurez compris, collecter l’argent de la course est bien souvent à la base de ces disputes.
Autre chose, les chauffeurs en général jouissent d’une réputation peu flatteuse auprès de la population. Il leur est reproché une intransigeance malsaine quand au respect du prix qu’ils ont fixé. Si le passager venait à manquer ne serait-ce qu’un adoken pour payer, le chauffeur à tendance à réagir de manière excessive. Et comme la tâche ingrate d’affronter les passagers incombe au chofè adwat, il est celui qui encaisse les injures et les coups (oui il peut y avoir bagarre). Sans tomber dans les clichés du chofè adwat au vocabulaire agressif, force est de constater que c’est une réalité qui participe aussi à renforcer cette image négative qu’on a de ces messieurs qui ne demandent qu’à gagner leur vie honnêtement.
D’un autre côté, les passagers, eux aussi, ont parfois un comportement qui laisse à désirer. Quand ils se retrouvent en face d’un chofè adwat “gentil”, ils profitent de l’occasion pour payer moins qu’ils ne devraient car ils savent que les possibilités d’altercations sont infimes. D’où le discours si w pa kale je w sou pasaje yo, yo pap peye w kous la byen. C’est une relation compliquée, et si le secteur du transport continue à être aussi désorganisé, les passagers et les chofè adwat ne s’entendront jamais. Quoi qu’il en soit, il faut éviter de tomber dans une certaine généralité – c’est une pratique très courante -, car autant passager que chauffeur, tous ne doivent pas être rangés à la même enseigne.
Sans les uns, les autres seront dans l’impossibilité de se déplacer et ainsi vaquer à leurs occupations quotidiennes. Le transport public a besoin de ces deux groupes d’acteurs pour fonctionner et s’il y a au moins une chose positive qui caractérise les chauffeurs et leurs compagnons d’infortune, c’est que même dans les pires moments, ils sont là à sillonner les rues. Peut-être est-ce seulement dans le but de gagner leur pain quotidien, n’empêche qu’ils sont quand même là. Force à eux.
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