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Bouki ak Ti Malis

Bouki ak Ti Malis

Qui n’a pas une histoire à raconter au sujet de Bouki et de Malice ? Qui dans son enfance n’a pas été bercé par les contes mettant ces deux-là en vedette ?

Nous gardons encore le souvenir de cette époque où après le crépuscule, petits et grands, tous assis autour d’un feu ou tout simplement en rond attendant impatiemment qu’un aîné nous conte des histoires. Les favorites étaient bel et bien celles de Bouki ak Ti Malis. L’admiration et l’intérêt qu’elles suscitaient étaient différents. Même à l’école, au moment des lectures, l’attention et l’excitation étaient toujours plus grandes lorsqu’on avait affaire avec ces deux-là, surtout pour les titres avec suite (1, 2…) car on savait pertinemment qu’ils nous arracheraient au moins un simple sourire et qu’on aurait quand même droit à un tour de Malice à son bon vieux oncle Bouqui. M’ap li ak kè kontan, était l’un des principaux livres qui en regorgeaient.

Historicité

On a souvent tendance à assimiler l’héritage colonial aux mauvaises pratiques et traditions plutôt considérées comme étant atypiques. Cependant, dans notre patrimoine (culturel, social, …), on retrouve de nombreuses choses et des traces positives de cette époque qui attirent le regard et qui sont convoitées des étrangers. Parmi elles, on retrouve les fameux contes de Bouqui et de Malice ou Bouki et Ti Malice que l’on appelle en créole « Istwa Bouki ak Ti Malis. On nous raconte qu’à l’époque de la servitude, les assujettis, dans leur moment de repos la nuit, se rassemblaient pour narrer des histoires quelquefois réelles mais majoritairement imaginaires. Et c’est un héritage qui a longtemps perduré en Haïti et dans les autres Antilles.

Le premier à écrire et publier des contes et récits mettant Bouki ak Ti Malis sous le feu des projecteurs fût le poète, dramaturge et conteur haitien Alibée Féry. Entre mai 1991 et mai 1992 le Nouvelliste publia bon nombre de leurs dialogues (Bouqui et Malice) de façon hebdomadaire

Tirant leur origine dans les traditions orales africaines, ils peuvent revêtir différents aspects d’une culture à l’autre. Peu importe la représentation qu’on leur donne, il y aura toujours dans le récit un malicieux et un paresseux, un profiteur et un profité, un menteur, un rusé et un sot, un bouc émissaire.

● Au Sénégal et dans les pays voisins Bouqui est représenté sous l’aspect de la hyène affamée et maigre, qui se dit « Bouki » en langues Peul et Wolof, alors que Malice est un lièvre malicieux et on ne peut plus rusé appelé « Leuk ».

● En Guadeloupe et en Martinique, Bouqui est connu sous le nom de « Zamba » ou « compère zamba », un balourd, un vorace tandis que que Ti Malis est attribué à un lapin dit compère lapin, un rusé et un sacré dragueur.

● En France, les caractéristiques de ces acteurs sont dépeintes par l’iconographie animalìère. Le loup ou Grand-Loup est le Bouki haitien, le zamba guadeloupéen et la hyène sénégalaise et le renard, encore appelé Maître Renard correspond à Malice, Leuk et compère lapin.

Qui sont Bouki ak Ti Malis ?

Ils nous sont présentés comme étant deux compères, c’est-à-dire de bons vieux amis et complices; quoique ce titre est souvent remis en question en raison des sales coups de Ti Malice à son opposé. Outre la relation de complicité qui existe entre eux, ils sont régulièrement associés par des liens familiaux: Bouki est oncle de Malis, d’où l’appellation de Tonton Bouki. D’appartenance haïtienne, ils sont repris sous d’autres noms dans la littérature antillaise, plus particulièrement en Martinique et dans l’île aux belles eaux. Ils constituent les Tom et Jerry de la littérature haïtienne et antillaise.

Distinguer les personnages

Bouki et Ti Malis sont comme les bornes d’une batterie. L’un complète l’autre et sont inséparables. Malice est souvent vu comme étant l’anode en raison de son intelligence malicieuse alors que son vieux compère est la cathode à cause de son caractère improductif, incompréhensible et sa paresse. Mais en réalité, si on s’appuie sur le côté vraiment positif des deux personnages, les assimilations seront différentes : Bouki serait alors la borne positive et Malis le côté négatif.

Ti Malis

Malice, Ti Malice ou Ti Malis, neveu de Bouqui est, comme son nom l’indique, un malicieux, un espiègle très rusé qui use fortement et même excessivement de son intelligence. Il est prêt à jouer des tours à son entourage, le plus souvent pour tirer profit d’une situation; qu’elle soit à son avantage ou non, il crée lui-même sa chance. Il cherche souvent à attirer ceux qui l’entourent dans ses filets, surtout son oncle-compère Bouki qui, malheureusement, tombe souvent dans ses pièges.

Bouki

Bouqui, aussi appelé Bouki, oncle Bouqui ou tonton Bouki est le bouki (sot, imbécile) de toutes les histoires. Il est le marchepied et le fouet de son neveu (il l’utilise quand et comme il le veut). Il est un Roseau, à chaque coup et farce de ce ce dernier, il se relève mais n’est pas assez futé pour en éviter d’autres.

Son inactivité intellectuelle est due à sa naïveté et à sa crédulité démesurée. Il ne remet rien en cause, il croit tout et reproduit exactement ce qu’on lui dit sans réflexion. Si Bouki pose une question, elle est sans sens et inadaptée en ce moment. Quand il réussit un coup, c’est le jackpot, un événement à célébrer car ce n’est pas Bouki, gagner n’est pas écrit dans son dictionnaire.

P.S. Bouki est parfois utilisé comme adjectif pour qualifier quelqu’un qui aime les corvées et qui fait preuve d’inintelligence. Caractères des deux personnages

Personnages

Bouki
  • Qualités : Crédule, aime ses enfants, fidèle à sa compagne
  • Défauts : Vorace, mauvais chanteur, maladroit, paresseux, impatient, crédule…
Ti Malice

Qualité : Intelligent, bon chanteur, charmeur, débrouillard…

Défaut : Malicieux, menteur, profiteur, voleur…

Traditions

Il est inadmissible de commencer un conte sans la formule magique « Krik?-Krak! » (le conteur crie « Krik? » et son audience répond « Krak! »), tant que ce n’est pas dit, le narrateur ne fait que parler et s’il n’y a pas de réponse à son introduction, il ne peut en aucun cas commencer son conte. Encore une legs africaine.

La coutume refuse que l’on « tire kont » dans la journée ; le bon moment c’est la nuit. Et derrière ce principe il existe une superstition, une croyance qui stipule que tire kont lajounen ka rale malè sou fanmi an puisque les personnages sont en lien au vaudou haïtien.

Usage moral des personnages

Souvent catégorisés parmi les œuvres comiques, ces contes et textes appellent à l’équilibre et la bonne mesure des capacités ou qualités que détient chacun et dépeignent certains vices de la société tels que : la voracité, la convoitise, la paresse, la gourmandise, l’égoïsme… (en plus de la naïveté de Bouki, c’est son esprit vorace et sa convoitise qui sont souvent à la base de ses mésaventures. Malice lui, c’est son égoïsme et sa gourmandise qu’il lie à son intelligence qui l’ont transformé en voleur et en abuseur). Ils encouragent aussi le débrouillardise (si Bouki n’était pas paresseux, Malis qui incarne le débrouillard, n’aurait pas autant abusé et profité de lui) et tiennent à mettre en garde que « tant qu’on fait preuve d’inintelligence, un intelligent va toujours en profiter (chak Malis gen Bouki pa l) ».

La pratique de « Tire Kont » est presque en voie de disparition en Haïti et les récits de Bouki ak Ti Malis, ne sont presque plus racontés. La technologie a étouffé la tradition. Cette pratique qui rassemblait la famille et qui contribuait autrefois au tissage des liens est maintenant remplacée par la dispersion de chacun dans son coin avec son téléphone en main. Malgré cela, ces deux héros alibéens (si on a le front de les appeler ainsi) restent encore immortels dans la littérature et la culture haïtiennes.

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